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Les Cahiers de Marie
17 mars 2008

Le retable de Rumilly-lès-Vaudes (1533-1536), un chef d’oeuvre gothique de la Renaissance

    En cette semaine Sainte (et pour faire plaisir à ma copine Pauline !), voici la description d'un "petit" chef d'œuvre ! Un magnifique retable sur la Passion du Christ. Il y a quelques temps, j'ai étudié cette œuvre et pris quelques photos (voir le nouvel album). Je vous invite cependant, à visiter la belle église Saint Martin, c'est quand même mieux en vrai !

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Une belle oeuvre sculptée

    En poussant la porte de l’église Saint Martin de Rumilly-lès-Vaudes (Aube), on se trouve face à un objet remarquable : un retable sculpté dans la pierre, recouvert d’une polychromie encore bien visible aujourd’hui. Ce tableau d’autel se trouve dans l’abside, derrière le maître-autel. Arborant sa place d’origine, il semble aujourd’hui suspendu au mur comme un tableau. Cette disposition peut paraître étrange. Elle témoigne cependant de l’ancienne présence d’un autel. Le retable se dressait sur cet autel, à son extrémité et reposait contre le mur de l’église. Les modifications des rites cultuels au cours de l’histoire ont rendu cet autel moins utile et ont probablement causé sa perte. L’officiant ne dit plus la messe dos aux fidèles, tourné vers le retable, mais il célèbre l’Eucharistie face à eux. Ce nouveau rite nécessite un autel plus avancé dans le chœur, intermédiaire entre les fidèles et le prêtre.

    Il semble que la sculpture du retable se soit achevée en 1533, comme nous l’indique une inscription gravée au bas, à l’extrême droite de l’oeuvre (MDXXXIII). La peinture quant à elle, aurait été réalisée au cours des trois années suivantes,  puisque l’année 1536 est mentionnée par la peinture, sur le boulier de l’un des personnages de la scène du centre.
Le retable se compose de trois panneaux rectangulaires bien distincts. Ils forment un ensemble homogène et fixe, contrairement au modèle traditionnel du triptyque, c’est-à-dire du retable à trois volets mobiles (ouverts ou fermés selon les temps liturgiques). Ici, le tableau d’autel se rapproche plutôt de la Pala (un tableau fixe). La prédelle (socle du retable) ordinairement de mise dans la structure des retables, a disparu. Elle est simplement suggérée par un socle de faible largeur qui ne comporte pas de figuration mais une inscription. Les trois panneaux représentent trois scènes différentes, qui se rapportent à la Passion du Christ :
- à gauche : le Portement de Croix
- à droite : la Résurrection
- au centre : le Crucifiement

Description

    Comme c’est souvent le cas, l’encadrement fait référence à l’architecture. Des éléments d’architecture gothique très ouvragés, comparables à un jubé, surmontent les trois parties du retable. Auparavant dans une église, c’est derrière le jubé que se produisait la messe, c’est-à-dire la transformation du pain et du vin en Corps et Sang de Jésus-Christ. Ici, le retable apparaît comme un modèle réduit de cette configuration, puisque derrière ces éléments architectoniques évoquant un jubé, se trouve la représentation de la mort et de la Résurrection du Christ donnant alors le sens originel du Mystère Eucharistique.
Le retable produit et reproduit éternellement le Mystère Eucharistique en ces lieux, sous nos yeux à l’image de la messe.

    L'espace est habité par soixante-dix personnages. Ces figures sont sculptées dans l’épaisseur de la pierre. Le bloc étant creusé assez en profondeur, le sculpteur a pu multiplier les plans. Ainsi, les personnages des premiers plans sont de quasi rondes-bosses. Ils émergent presque entièrement de la matière. Ils semblent vouloir prendre vie en s’extirpant du joug de la pierre. On pense ici aux fameux « Esclaves » de Michel-Ange qui semblaient eux aussi vouloir se délivrer du marbre. Ce procédé a permis à l’artiste exécuteur du retable, de rendre une certaine animation aux différentes scènes. Les personnages sont presque vivants et leur profusion dans cet espace réduit rend mouvance et réalisme. Si on regarde bien, on pourrait presque les voir bouger ! 
    La réalisation picturale vient renforcer « l’incarnation » des sujets. La peinture souligne les formes, les attitudes et les expressions. Elle traite aussi le décor et notamment les paysages des arrières plans qui ouvrent l’espace et suggèrent un au-delà. La peinture annule la limite donnée par la pierre.  L'espace est paradoxalement animé et figé ici, maintenant et toujours.

Le Portement de Croix

« Le Sauveur succombe sous l’horrible poids
  Par trois fois il tombe en portant sa Croix. »

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    Jésus-Christ condamné à mort, est chargé de sa Croix. Il se dirige vers le lieu dit "Golgotha". Il est représenté au premier plan, vêtu d’une longue tunique bleue et portant la couronne d’épines. Il est abattu par le poids de la Croix. C’est sa première chute. Simon de Cyrène se trouve derrière lui. Le genou en terre, il vient l’aider à porter sa Croix. Face au Christ, Sainte Véronique s’émeut à la vue de son visage meurtri. D’un geste de charité et d’amour, elle essuie et console le visage de Jésus. Sainte Véronique est représentée à genoux, tendant face au visage du Christ le Velum sur lequel l’image de la Sainte Face est restée inscrite. La Sainte a franchi le rang des soldats qui fait masse au second plan. Derrière ces soldats vêtus d’armures et de tuniques dorées, une foule se presse afin de suivre le déroulement des évènements. Les personnages s'entremêlent dans une atmosphère agitée et désordonnée. A l’arrière plan, le décor peint montre une ville fortifiée. Il s’agit de Jérusalem. On peut y voir un palais où Jésus est attaché à une colonne. Il est flagellé par deux bourreaux.

Le Crucifiement

"Le Sauveur nous donne, sa Mère en mourant ;
Son amour pardonne, au cœur repentant. "

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    Le panneau central représente les épisodes suivants de la Passion du Christ. Trois croix se dressent dans l’espace. Le Christ cloué sur la Croix est présenté de face. Les deux larrons sont liés sur leurs croix de part et d’autre de Jésus. Ils arborent des positions, des attitudes désordonnées avec des corps gesticulants et des tuniques en pagailles, avec des yeux exorbités à l’image d’une vie dissolue. En revanche, le Christ incline légèrement la tête et ferme les yeux paisiblement. Son corps meurtri par les clous, les épines de sa couronne et la lance accentuent la dignité surhumaine du Christ. Au pied de la Croix, la Sainte Vierge enserre le bois et lève les yeux vers son fils. Le sculpteur et le peintre ont su parfaitement retranscrire la douleur de la Vierge Marie. Autour d’elle, un attroupement de personnages lève aussi les yeux au ciel. C’est vers le Christ que convergent tous les regards. Au premier plan, deux groupes se détachent de la scène principale. A gauche, la représentation de la pâmoison de la Vierge soutenu par Saint Jean à qui le Christ vient de donner sa mère. Cette petite scène tout en mouvement est emprunte de pathos. De l’autre côté, à droite, cinq personnages discutent entre-eux. D’après leurs vêtements, il s’agit de cinq juifs qui semblent à part du reste de la scène. Ici, les personnages sont tournés sur eux-mêmes et ne s’intègrent pas à l’action.

La Résurrection

"Jésus ressuscite, vainqueur du tombeau ;
En moi qu'il suscite, un cœur tout nouveau. "

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    Le panneau de droite  évoque la Résurrection. La composition s’articule autour du Christ ressuscité, situé au centre de l’espace. Jésus-Christ est debout sur son tombeau ouvert. Triomphant, son linceul s’envole au souffle de l’Esprit. Il tient dans sa main gauche le labarum, la Croix signe de la victoire, et de l’autre main, il pointe le ciel. Pour la première fois, les soldats présents de part et d’autre du tombeau lèvent aussi les yeux vers le Christ, comme s’ils le reconnaissaient enfin. Au fond de la grotte, on peut voir un ange témoin du Mystère de la Résurrection. A droite, le commanditaire du retable (Jean Colet), le curé de Rumilly-lès-Vaudes, est représenté agenouillé en train de prier. Il est identifiable par le blason portant son signe héraldique, placé devant lui. A l’arrière plan, à droite on peut observer la rencontre du Christ et de Marie-Madeleine. La scène se situe dans un jardin. Derrière, Jésus se trouve à nouveau représenté entouré des disciples.
A gauche, il y a la représentation de la mise au tombeau. A côté, les Saintes femmes arrivent près du sépulcre. Elles portent des parfums. Toutes ces petites scènes préfigurent la scène centrale du retable.

    Différents épisodes de la Vie et de la Passion du Christ sont représentés sur ces volets, de manière simultanée. Ce mode de représentation introduit un caractère narratif au tableau d’autel et souligne sa vocation. Le retable propose une lecture, comme le condensé d’un livre ouvert qui unifie tous les évènements simultanément en un seul espace. Cet espace parcourable par l’œil devient un lieu de lecture où les évènements ne sont pas représentés de manière chronologique, mais de façon perpétuelle. Ils ne se produisent pas les uns après les autres, mais tous en même temps. C’est au spectateur qu’il revient d’introduire une temporalité afin d’animer les différentes actions et de rendre l’histoire évènementielle et cela en parcourant du regard et de l’esprit, l’espace organisé par le sculpteur. Ainsi, on peut voir que le retable se lit de gauche à droite.

    L’attribution du Retable reste difficile à établir. Le tableau ne possède aucune trace pouvant l’associer à un artiste ou à un atelier particulier. Les sources écrites ne renseignent malheureusement pas non plus davantage. Seul l’aspect plastique et l’aspect stylistique peuvent offrir quelques pistes. Koechlin (historien) semble voir dans le retable de Rumilly-lès-Vaudes, le travail d’un corpuscule champenois et plus particulièrement d’un atelier troyen. Pour lui, le retable est l’œuvre de l’atelier qui a réalisé la Mise au Tombeau de Chaource, la statue de Sainte Marthe de l’Eglise Sainte Madeleine à Troyes, etc. Cela n'est pas si évident à mon avis.

Un très belle œuvre donc, à voir et à revoir...et peut-être encore davantage à l'approche de Pâques !

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Commentaires
P
MERCI !<br /> bonne semaine sainte,<br /> <br /> Pau
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